C’est la « Roue de la Fortune » mélangée à « des idées prennent vie du côté de chez vous », car dans Work of art the next Great Artist, il faut savoir mixer avec habilité sens pratique de l’agencement de l’espace et connaissance parfaite de l’ère du temps. China Chow en plus, Dechavane et son chien en moins.
Le concept est simple, un jury, des éliminations, 14 artistes candidats dont un gros, un ouf, une bimbo, un bon gars, tous les stéréotypes pour que vous puissiez vous projeter. Entre l’opening et les 100 000 €, une série d’épreuves dans des délais contraints permettant des évaluations. L’intitulé des épreuves en dit long sur la passion artistique qui anime les producteurs :
- Create a work of art based on your Audi experience.
- Create a shocking piece.
- Design a book cover for one of six classic novels, Alice’s Adventures in Wonderland, Dracula, Frankenstein, Pride and Prejudice, Strange Case of Dr Jekyll and Mr Hyde and The Time Machine
Nous voilà plongés dans le New York Arty des loft à plancher, des serveuses qui se rêvent artistes, des Yellow Cab et des soirées parrainées par Sarah Jessica Parker.
Mais les images ne sont pas là par hasard, et donc, de quoi « Work of art the next Great Artist ! » est-il l’image ?
Tout d’abord de la glorification de la vie d’artiste. Ironie de l’histoire puisque désormais le statut jusque là peu enviable d’artiste est devenu un horizon hype. On met de côté le stress lié à la nécessité de créer et à son corolaire, le désagréable manque d’inspiration. On partage sur petit écran, le dernier rêve occidental, celui de devenir créatif et de tout plaquer pour passer sa vie à faire des boulettes de papier collées dans des Tupperware au fond d’une salle à manger d’un loft berlinois. L’époque nous impose de répondre à l’injonction « crée et consomme ». La pomme remplace le poing vengeur comme logo de nos révoltes et voilà qu’être artiste devient cool. Les rêves de gloire surannée à la Trump sont so 90’s : » Now I want to be the next star art ». Plus classe que la vulgaire starlette dont on exposera les bourrelets dans les pages de Gala sous réserve de ne pas finir comme Lebowitch. En plus une fois le statut d’artiste acquis, la sex tape se négocie plus cher et s’appelle installation.
C’est ainsi que la société entière se voit plongée derrière le voile grisant de la création. La vocation d’artiste auto-entrepreneur se répand et vous ne pouvez plus ignorer que même votre grand mère a son shop de cravates en soie sur internet. La notion d’art placebo se diffuse également et votre tante qui fait de la peinture sur porcelaine, encadre, au profit du Conseil Régional un groupe de détenus à la Santé. L’art est devenu cet ultime rempart permettant la libération des frustrations, le contournement des échecs. L’artiste comme médiateur, grand frère et dernier recours de la société. Looping, Baracuda, et Futé une pochette de papiers Canson sous le bras. L’agence tout risque en ancien de l’amical des Beaux Arts.
« Si vous avez un problème, si vous êtes seul, si personne ne peut vous aider, si vous êtes acculé, si la justice ne peut plus rien pour vous, il vous reste un recours, un seul : le CRAC de votre région. »
Avec ce show, on tente de rendre l’art contemporain soluble dans le capitalisme en réduisant l’art en élément de décoration pour happy few, en vernissage spectaculaire pour adulte jugeant le Space Mountain trop vulgaire. Or loin de la compétition de Work of art the next Great Artist ! , l’Art est cette expression de la conscience de soi et donne un statut d’archéologue de l’universalité humaine à l’artiste. Donner à voir ce qui nous rend humain ou inhumain loin de la concurrence des marchés et des publications, loin des gift shop et des parrainages.
Le contemporain n’est pas la hype, n’est pas cette paire de Wayfarer, n’est pas fluo, le contemporain n’est pas sur la liste, il n’a pas de carte de membre, il n’est pas une caste. Le contemporain est l’inactuel puisque l’artiste met en perspective, déphase, décadre pour ne plus coïncider avec son époque. La contemporanéité désigne « très précisément la relation au temps qui adhère à lui par le déphasage et l’anachronisme » comme le souligne Agamben.
Work of art the next Great Artist ! , pourtant ne répondra jamais aux questions essentielles, celles qui interrogent notre désir de créer, rien sur le vertige qui vous tenaille dans cette démarche vers l’inconnu, le nouveau. Nada sur comment articuler les verbes créer, œuvrer et faire ? Comment expliquer le grand saut, la prise de risque de tout plaquer et remettre sa lettre de dem’ en hurlant dans le bureau de son n+1. Comment définir ce hiatus, ce saut, cette discontinuité entre ce qui est déjà là et ce qui soudain vient au jour pour la première fois ?
Simon de Pury, membre du Jury et Président de Phillips, de Pury & Cie aura beau scander « Nous sommes meneurs sur le contemporain », on lui rappellera qu’il est simplement l’ère du temps.
Avant cette expo au Brooklyn Museum promise au vainqueur, la question essentielle est de savoir en quoi une œuvre n’est en rien de son temps, quel est ce dévissement vis-à-vis de l’époque, ce « vent d’inactualité qui les traverse pour les propulser à l’avant-garde de l’époque, dans le contemporain, là où art et prophétie se confondent ». Ne pas être de son temps est donc un acte de foi courageux et salvateur » parce que cela signifie être capable non seulement de fixer le regard sur l’obscurité de l’époque, mais aussi de percevoir dans cette obscurité une lumière qui, dirigée vers nous, s’éloigne infiniment ».
L’art est bien cette nuée d’ombre qui éclaire et réside selon le Manala dans les travaux notamment de Guillaume Bresson, de Raphael Siboni, de Camille Henrot et des Quisterbert Bros.
What the FIAC !!!
Et certains pensent encore qu’il ne s’agit que de TV.
Note ; Sébastien Thibault, « D’une lecture croisée d’Agamben et d’un concert des Young Gods ou de la question de la contemporanéité dans la pop’ », Revue Appareil [En ligne],
Varia, Articles, Mis à jour le 05/11/2009.
URL: http://revues.mshparisnord.org/appareil/index.php?id=866
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