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Aujourd’hui la réalité de la T.V : « Addicted », Nous sommes tous en pleine montée

C’est un mix entre « Super Nany» pour le coaching de l’extrême et «Confession Intime » pour les révélations chaudes larmes devant la handy-cam, sauf que les gamins sont devenus grands, tètent la bouteille de vodka à grande lampée et biberonnent des pipes de meth’ avant de se coucher. Un rototo et au lit. Bienvenue dans la TV réalité qui accueille d’anciennes cheerleaders devenues mères trop tôt dévissant avidement la porte du frigo cadenassée à la clef de 12 pour s’enfiler la bouteille de 2 litres de vodka et finir avachie sur la table de la cuisine le visage déformé.

On plonge donc dans l’univers glauque des dépendances les plus profondes, celles qui vous font oublier le Réel, celle qui vous font vous réveiller sur la moquette ou danser contre un mur, celle qui transforme Enrique Eglias en Joe Strummer et vous font confondre vos toilettes avec votre dressing. Les toxicomanes de toutes sortes seront coachés par une Super Nanny les épaulant pour atteindre cette rédemption lumineuse, le firmament du clean.TLC mettant au passage les deux mains dans un voyeurisme trash, loin du talent du Gonzo de Selby Junior, filme en gros plan et en séquence la prise de substance illicite et ses conséquences.

Mais les images ne sont pas là par hasard, et donc, de quoi « Addicted est-il l’image ?

D’un apéro géant qu’on regarde sans s’interroger sur ses causes mais en dénonçant ses conséquences car par fainéantise on ignore le mal pour se pencher sur ses symptômes. Or comme le rappelle Addicted, si la prise se fait en solo, elle est également l’occasion de la création de commun suite à une long cérémonial dans lequel, on brûle, on émiette, on échange les gestes, on transmet les tips. En effet le „pour faire comme et avec les autres“, ce besoin d’identification et d’appropriation à une communauté devient flagrant. Mais l’étiologie n’intéresse que trop peu. Et nous voilà sans nous en rendre compte en train d’applaudir les thèses sécuritaires alors que notre petite sœur engrange les rails de coke au son des Crystal Castle, que comme un Francais sur 4 vos parents roulent aux antidépresseurs, et que papy comme 54 % des hommes est dans la Red zone des consommateurs couperoses à risque. Tous pour le Narco populisme qui impose les test d’urine et nourrit la délation.

Addicted souhaite donc révéler et illustrer les ravages des « substances accélératrices », de la déchéance de ceux qui n’ont pas de volonté, et donc en creux de la nécessaire répression afin de canaliser les déviances propres à l’Homme. Cette émission nous donne donc à voir l’« homo sacer » d’Agamben, l’exclu, celui que l’ont peut sacrifier sans risque. Celui qui à l’ère de la global surveillance, n’est pourtant plus confronté à l’État mais à la prod d’une émission venue cannibaliser sa dépendance en dealant ses images borderline sur les network. Celui qui est au Ban, exclu de sa propre citoyenneté. En effet, l’homo sacer est «un homme qui est mort», il est «hors la loi, ou en dehors de la loi». Il est exclu de la communauté religieuse et de la vie politique réduite à 35 mn de programme sur une chaîne du câble. Ce Ban-dit est en dehors de la communauté, en étant « à la fois à l’extérieur et à l’intérieur », pour en quelque sorte« être enfermé dehors». Nous voilà spectateurs de ceux que l’on ne regarde pas d’habitude, ces parias, ces morts vivant réveillés des fosses. Et c’est alors que l’absorption de drogue rend caduque l’accès des sans part à ce qui pourtant leur est dû. Aux heures de grande écoute, nous voilà témoin du sacrifice de ceux qui n’ont plus d’importance politique.

Mais face à ce sacrifice en direct « Addicted » a la vertu première de nous faire oublier nos propres addictions, nos dépendances. Devant cette prise d’hero en direct, on relativise les 10 heures d’attente pour l’achat de son Ipad, devant cette bouteille de vodka descendue en 3 gorgées. On oublie notre grille de Loto que l’on valide machinalement tous les mercredi soirs, on néglige notre consommation frénétique de séries et notre fusion charnelle aux réseaux sociaux, autant de compulsions nous permettant de prendre de la distance avec un Réel menaçant.

« Addicted » en nous montrant des toxicos en mode zombie nous permet de poser un voile sur notre monde d’intoxiqué de suburb, où chacun cherche son filtre par rapport à la réalité, par rapport à l’autre afin de se réconcilier avec un monde par trop menaçant. « Addicted » prône donc un monde de straight edge ou ne maîtrisant plus nos pulsions nous voilà réduits au non merci.

Un monde vert pâle qui roule à la bière sans alcool mais qui encourage le consomateur pulsionnel.

Et certains pensent encore qu’il ne s’agit que de TV.

Note :

Gilles Chatelet, Les Animaux malades du consensus, recueil des textes politiques, édition établie par Catherine Paoletti, Éditions Lignes, 2010

Giorgio Agamben, Homo Sacer II, 1. État d’exception, traduit par Joël Gayraud, Paris, Seuil, 2003

Mehdi Belhaj Kacem, La Psychose française, les banlieues : le ban de la République, éd. Gallimard