C’est un mix entre « Lost » pour la survie en milieu hostile et « Lost » pour la quête de soi et de figure paternelle, sauf que Jacob a été remplacé par Denis « Ginger » Brogniart et que la black smoke n’est pas vraiment en mode Random mais bien en mode délation au coin du feu. La question centrale pose l’enjeu : » Qui trouvera les réponses qu’il était venu chercher à l’autre bout du monde ? » Bienvenue dans la TV réalité sauvage, de celle qui transcende les participants en lutte perpétuelle pour une immunité ou un moment de confort. Bienvenue dans cette incursion dans l’événement et le rite qui fait tant défaut à nos week end IKEA-PS3-MULTIPLEX ( marche aussi avec MUJI-WII-MK2).
Affalé dans notre sofa, la main dans un bol de m&m’s, le Manala a été médusé par cet homme de 65 ans qui pleure devant la caméra, à bout de nerf après seulement deux épisodes à Raja Ampat, quelques bouchées de Manioc et des miettes de crabes faméliques dans l’estomac. Gégé a frôlé la déshydratation, son corps n’a pas suivi. Il craque et ses lèvres se déforment et se tordent, peu habituées à cette à l’aise, elles qui sont restées stoïques pendant 65 ans. Le doyen est anéanti, incapable de prouver aux autres qu’il en était encore capable. Trop vieux. Pas assez solide et désormais remplis de honte par crainte de ne pas être à la hauteur du » plus grands défis de [sa] vie ».
Laurent, quelques épisodes plus tard, un beau gosse athlétique à la coupe de Bichon pleure toutes les larmes de son corps devant son père : « C’est pour toi que je suis là papa » hurle-t-il sur cette plage paradisiaque transformée en camp de réfugié. Climax lacrymal d’une identification au père qui a besoin de boue, de stratégie d’alliance et de réunification pour s’exprimer.
Mais les images ne sont pas là par hasard, et donc, de quoi « Koh Lanta » est-il devenu l’image ?
» Kho Lanta, c’est pour renouer avec mes ancêtres » Teheriura 9 sept 2011
De cette époque paternaliste, née sous X et qui ne connait pourtant pas son père. Orphelin, nous réclamons à corps et à cris, un mentor, un exemple, un maitre alors que nos parents ont depuis longtemps dévissés sous l’effet des Prozac corrigé au J&B et n’ont pas voulu endosser les habits du vieux sage pour pouvoir continuer à se saper comme leurs enfants. Une époque qui a pour slogan » Ni Dieu Ni maitre » ne peut que préférer « le comptoir des cantonniers » à la toile de bure des Jedi. La vérité est ailleurs, et surtout loin du divin et de la transmission. La pyramide des âges se transformant en un vaste champs de bataille du tous contre tous, chacun étant une menace pour l’autre.
Alors on écarquille les yeux devant ce vieux roublard naïf, devant cet Ulysse revenu d’un long voyage qui porte un pagne un peu trop larges pour ses hanches, se rêvant en chef de tribu qui prends les choses en mains. Ses chicos le prouvent, il a quelques kilomètres au compteur et nous devons lui faire crédit du bénéfice de l’âge. Comme il le rappelle après son éviction dans un lapsus révélateur » Et Dieux sait que les Anciens, on en a des choses à apprendre ». Le spectateur, comme chacun des participants, est prit dans ce besoin de croire en cet homme déterminé qui montre le chemin mais fait du surplace quand il faut affronter les « courants » contraires. On l’écoute un peu distrait comme on écouterait avant un assaut, son adjudant chef, un peu con-con mais tout de même aguerri et affuté par le poids des années.
Arrive alors ce qui doit arriver, notre père d’un jour, doit se faire ramasser. A nous de comprendre qu’il est humain. Forcement, c’est plus de son âge ces conneries mais il voulait y croire, il avait besoin d’un ultime combat à sa hauteur, plus séduisant qu’un pot de départ du Paradis des Chats « Numéro un de l’hébergement du Chat de Race » arrosé à la Blanquette de Limoux et aux curly éventés.
Et le père et le fils seront désormais égaux devant les épreuves incompréhensibles de Kho Lanta, et tout le monde finira en larme. Nous deviendrons alors à notre tour des hommes d’honneur conscient de notre finitude.
Le rite c’est chic
Voila nos ainés obligés de subir les mêmes rites de passage cathodique que leur gamins, contraints d’affronter le rite de passage qui fera d’eux des hommes au collier d’immunité, des hommes à totem, des hommes en guerre face à la nature. La démarche volontaire fait que chacun se retrouve sur la même ligne de départ. Il n’y a pas de handicap ni de traitement de faveur.
La culture ayant horreur du vide, la TV a occupé l’espace que chacun d’entre nous, a laissé vacant. Les rites ont besoins des hommes pour les alimenter. Rien n’est eternel. Or nous n’alimentons plus rien en dehors de notre TL. Fini les rites dans une société désenchantée. Quant tout est KO, il n’y a plus rien pour nous faire prendre conscience de notre place dans un tout qui nous dépasse. La chaine semble rompue, le lien aussi. Le Manala regrette l’événement fondateur. Pas la virée au bar à hôtesses pour ses 16 ans avec Tonton et cousin, ou la première menstruation ( parité oblige, le Manala ne souhaite pas se faire barber) mais bien le moment qui vous fait prendre conscience que vous êtes un maillon d’une chaine qui vous dépasse. Désormais on vote sur un carton, on like, on RT, on appelle un numéro surtaxé, on éteint une torche, et on éteint la lumière en se disant qu’on a vécu un grand truc, une formidable aventure humaine, un grand frisson.
Aujourd’hui l’initiation est télévisuelle. Inscrivez vous au casting pour vivre l’aventure de votre Vie ? On nous annonce en grande pompe l’arrivé de l’homme nouveaux, désireux d’éprouver quand il ne sent rien, de frôler la mort en bouffant des racines pourries sur une plage à deux pas d’un palace et finir en EVASAN à cause d’une diarrhée niagaresque…
L’île de Kho Lanta se part des attributs du gymnase dans lequel on se rêve en exerçant, disponible à la révélation de soi, grâce aux épreuves initiatiques. Comme un flash, on se souvient des cours de Latin de Madame Chiavus en 5eme 8 ( celle des marginaux qui font LV 1 Anglais et non une langue exotique). Initium en latin désigne » une entrée, un commencement » ou » une ouverture », et le mot grec correspondant (teleîn) indique plutôt un accomplissement et une perfection. Les pieds dans la boue, chacun rêve de se mettre à l’épreuve. » Qui saura maîtriser ses émotions pour ne pas perdre ses moyens ? »
Profane
Plus que jamais, loin nos écran, il est temps de vivre l’aventure sans procuration, d’échapper à la contre initiation télévisuelle. A nous de partir à l’ascension du Mont Improbable. Quitter le sofa de l’acteur passif pour devenir l’acteur de son changement, de sa mue. A nous de ne pas résister à cet appel à changer notre vie et saisir l’occasion de s’entrainer avec les dieux, avec soi même.
Absorbés par la TV, ses sitcoms, ses débats, ses actualités et sa pseudo réalité, nous succombons à l’idée que l’homme est un loup pour l’homme, nous succombons à la guerre des égos derrière les fourneaux, nous plongeons dans le ressentiment d’un carrée VIP, nous rêvons d’une France de propriétaires, nous louons les vertus d’amour aveugle, vulgaire et éphémère.
Il est temps de se retrousser les manches pour planter les poteaux de l’épreuve finale dans notre jardin, pour recréer l’écrin de l’extraordinaire. Il nous appartient de sacraliser une soirée, de s’inventer des rites, des scarifications joyeuses, de faire communauté et de se donner du mal pour créer une Alliance Bleue, une Ligue des Gentleman & Women extraordinaire, une écurie, un crew avec des règles, une tribu avec ses mythes.
Vous avez décidé de vivre l’aventure de votre vie ?
Levez la tête et visez le sommet pour vous réapproprier ce qui est en votre nos mains : vos vies.
Et certains pensent encore qu’il ne s’agit que de TV.
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