
« Il y a au milieu de vous quelqu’un que vous ne connaissez pas »
JN 26
Le dernier film de R.Siboni lève le voile sur ce que l’on ne montre pas, il révèle ces ombres qui se cachent derrière les rideaux de pavillons de banlieue meublés chez Fly, derrière les portes de garage de la ZI de Chalons. Des corps qui, pour tromper l’ennui, la solitude, ou pour gagner leur vie s’emboîtent les uns dans les autres en mode Porno Gonzo, symptôme du DIY appliqué au porno sur internet. 100 % fait à la maison.
Raphael Siboni nous donne à voir cet autre inaccessible au milieu de millier d’heures de rush de « making of » réalisés par HPG et captés par sa camera souvent posée sur un trépied, parfois passant de main en main sur le tournage. On rencontre la jeune « ingénue » qui a fait 4 ou 5 films, ses acteurs masculins fétiches, le jeune puceau en quête de reconnaissance, le couple homo, la trentenaire solitaire obèse et les jeunes Hongroises hybrides aux poses professionnelles.
Ces blocs d’images successives, destinés à être consommés sur la toile, ce mash up compulsif relayé par exabyte, nous révèle que nous jouissons sans entrave derrière nos écrans, sans rapport à l’autre. Plus besoin de passer à l’acte car d’autres le font pour nous et le POV se retrouve dans le catalogue des désirs que d’autres ont pris le soin de ranger pour nous. Nous n’avons mêmes plus à penser nos fantasmes, d’autres les mettent en forme.
L’enjeu du film repose, comme son titre le suggère, dans la rencontre avec l’autre, avec ce corps étranger, ses désirs, ses fantasmes et les artifices que chacun de nous met en place pour dealer avec lui : nos filtres, nos lentilles déformantes, nos mots clefs rassurants, ces histoires que l’on se raconte pour mieux accepter le Réel, à savoir, notre solitude.
Raphaël sans poser de jugement nous laisse le soin de répondre à cette affirmation Lacanienne. Au bout d’1 heure 17, à nous de savoir si effectivement il n y’a pas de relation ou de rapport, qu’il soit sexuel ou pas, qu’on soit actif ou passif ?
L’occasion alors de nous confronter à la sainte trinité :
– au Réel, au symbolique et à l’imaginaire.
– au bon, à la brute et au truand
– à l’artiste, à la camera et à soi-même
– Ex Ebony GF, great body, best fuck before the end of the world–

• Le réel n’existe pas ?
2012 ne pouvait mieux commencer pour illustrer le frottement tectonique entre 2 mondes et annoncer le renouveau. Le réel n’existe pas, il est entre deux, tout comme ce film qui est à la charnière entre 2 mondes, l’ancien et le nouveau. Cette frontière qui redistribue les cartes dans le monde des faiseurs d’images et producteurs d’icônes. Pour preuve :
– des images faites par une camera posée par un acteur réalisateur de porno, ou manipulée par ses acteurs, destinés à alimenter un making-of, devenu depuis un sous genre du porno.
– des images de corps qui se frottent, montées par un autre, artiste contemporain, et qui, en donnant de la cohérence à cette accumulation a légitimement la qualité de réalisateur.
N’en déplaisent aux médias d’hier, il n’est pas question de ready-made mais bien d’organiser une pensée en images et donc de faire un film.
L’ancien monde, celui des majors, des tournages, des plateaux TV, celui de la centralisation et du sens unique semble révolu. Nous sommes entrés de plein pied dans un monde de l' »amatorat » collaboratif, participatif, et multinodal. Peu importe de savoir qui possède ou tourne les images. Chacun peut les manipuler, les transformer puisque le monde des formes en suspend est ouvert à toutes les manipulations, ignorant les ®,les ™, ou les © vestiges d’une époque révolue. La plus-value réside désormais dans leur sélection, leur organisation et dans le propos qu’elles sous-tendent. On entre dans le désert du Réel, d’un Réel qui n’existe pas puisque il se définit par la négative, c’est-à-dire comme tout ce que l’on ne peut pas représenter. Impossible à nommer, le Réel devient hors de portée. C’est ainsi que pour Lacan, ce qui ne peut etre nommé fait éclore le Réel. C’est la question de la distance qui est ici pointée, la distance suffisante pour une mise au point nécessaire. Une fesse passe devant l’objectif et le champs se trouble. On ne peut représenter ce qui est trop proche de nous.
Or comme nous le rappelle le film de Raphaël, le plaisir sexuel est avant tout question de représentation : du lait concentré pour un cum face rageux, une claque dans les mains pour un rapport autoritaire. Tout est question de point de vue comme ce gars qui hurle le soir du nouvel an » ce soir j’vais niquer, j’vais niquer grave ». Il répète cette réalité pour mieux se convaincre. Réalité que rien pourtant ne confirmera. Il ne parle et ne répète que ce qui lui est agréable de penser. Le démenti que lui apportera la soirée ne pourra l’empêcher de croire qu’il va pecho. CQFD : une relation sexuelle ne vaut pas forcément un rapport à l’autre. C’est avant tout un rapport à soi et avec son Autre.
On est donc seul au milieu de soi-même, au milieu des ruines que l’on a construits pour tenter de combler l’angoisse du rapport à l’autre. Il n’ y a pas de réponse. Toutes les réponses sont en fait des semblants qui recouvrent le réel et non le rapport.
Mais alors que nous reste-il quand tout a disparu, quand on soulève le voile du non rapport sexuel. Un trou béant qui à mesure qu’on le comble va se multiplier…
– Deep in Black Hole in public metro station + Smoke + Lycra Panties –

• La camera : le symbole au plus profond de l’autre
Heureusement la camera est là pour remplir le vide. Cette camera qui bouge perfore les êtres, se frotte au corps. Toujours plus proche du réel dans un souci de fidélité, le HD révèle les bleus, les poils, la bave, les boutons. Cette camera va nous aider à représenter le réel, plus vrai que nature. Elle va figer les symboles qui feront religion. La camera devient ce lien entre 2 mondes, un pont entre 2 rives, usine à symboles projetés sur écran. Le symbolisme, selon Julian Jaynes, a pour base la perception brute, en tant que mode de compréhension initial du monde. La camera va nous permettre d’avoir accès à ce que nous ne pouvons que percevoir. Il revient par la suite à chacun de nous de nommer cette chose, en lui substituant quelque chose qui lui est plus familier. Le symbolique est à trouver dans notre capacité de représenter. Il est lié à l’acte de parole. Mais ce langage qui nous permet l’échange avec l’autre nous coupe en même temps du monde. Chacun étant tour à tour victime de la substitution inconsciente d’un élément par un autre, permettant d’en exprimer le côté refoulé. De plus, le symbole peut transcender le rapport à l’acte. Plus besoin de le faire, on le fait pour moi. Nous voilà sujet inter-passif, vivant par procuration quand d’autres rient pour nous, quand d’autres gagnent pour nous, quand d’autres s’accouplent pour nous. Nous ne sommes plus que poussières dispersées éparpillées dans une toile de dispositifs.
Lunettes 3-D sur le nez, le POV devient ce plan ultime de l’inter-passivité : la camera posée sur son épaule, HPG en mode centaure, moitié acteur, moitié réalisateur, mi homme, mi camera, laisse au spectateur l’illusion de l’acte. La camera pénètre et tente de combler le trou du réel irreprésentable.
-POV : Best Handjob made by a tiny redhead Chinese teens wearing air max-

• HPG et l’ Image de soi
Du réel au symbolique nous voilà arrivés à destination : l’imaginaire. L’imaginaire est notre miroir, c’est-à-dire notre capacité à simplifier le monde, de croire en son unité pour rendre possible notre identification. La cathédrale de notre idéal, du Moi propre à chacun, jouant sur les « je suis plutôt ceci » ou « plutôt cela ». « Non mais moi je suis assez facile à vivre, sérieux !! « , » ça fait plaisir d’être entendu, j’avais annoncé la fin du minitel, il y a 10 ans # latechnodedemain », » Faire découvrir Sacha Grey à ma femme de ménage et la voir sourire, c’est priceless » Personnal branling au pays du personnal branding et du story telling. Procédé déclaratif quand il faudrait avoir l’humilité de déclarer qu’il te suffit que tes pairs te reconnaissent comme tel. Tout rapport, qu’il soit sur twitter, facebook ou nuptial est avant tout narcissique. Je m’aime à travers l’autre.
Le film de Raphaël nous donne à voir ce que l’on ne doit pas montrer, ou ce que l’on ne veut pas voir, la coulisse, cette origine du monde cachée dans le bureau de l’analyste. Chaque bloc d’images est précédé d’un gros plan des acteurs avant la scène, carte d’identité à la main. Dans ce face à face avec les acteurs, nous voilà à l’écran dans le miroir de notre consentement exhibé.
Ce risque pris dans le face à face est aussi un risque pour HPG qui ouvre son journal de bord et révèle qui il est. Pygmalion qui initie les plus jeunes, les amateurs, les pros ou les vieilles dans du Soft porn ou du Hard sale. Celui qui se définit comme un prolétaire ne tombe jamais dans le malsain ou le crade. Il résout le problème du voyeurisme en se mettant au niveau de ses acteurs, acteur lui-même, au milieu de la mêlée, il est à hauteur d’homme, à poil comme tous.
Sur le set, cependant, n’est pas réalisateur qui veut et il a ce petit supplément de vice nécessaire à tout réal’ manipulateur désireux d’avoir la bonne émotion, c’est-à-dire dans le milieu, celle d’une première fois authentique. (1ère relation homo, 1ère éjaculation fontaine sur le carrelage de la salle de bain, 1ers pleurs car « cela va trop vite »…. Pro jusqu’au bout, car obsédé par le spectateur, qu’il connaît trop pour risquer d’en rater une miette.
La démarche d’HPG est courageuse car il confronte l’image qu’il a de lui même avec la force symbolique des images archivées pendant des années. En donnant à voir son job, il est sur le fil qui peut facilement vous faire basculer dans la déception face à la « vraie » représentation de soi-même, celle que l’on donne à voir. Et comme il est impossible de se connaître, le gouffre du face à soi peut être éprouvant.
• Apocalypse : le grand autre
Ce que l’on ne peut enlever à HPG c’est cette volonté d’Etre, d’être fidèle à soi, sans être l’objet des circonstances, des événements, mais en tentant d’être son sujet.
Et en attendant de rencontrer l’autre, le défi réside dans la rencontre avec l’Autre, celui dont la présence fait peur. Cet Autre que l’on peut craindre comme un abîme ou un gouffre ou que l’on peut saisir comme une occasion.
Le film de Raphaël Siboni nous invite finalement à faire le bilan de ces milliers d’heure de rush de nos vies, de ces milliers de photos qui s’entassent pour tenter de redécouvrir notre vérité au milieu de cette foultitude de « photosprofilfacebook » face au soleil couchant, un cocktail à la main et une duck face sur les lèvres. Quel est le sens de toutes nos images ? A nous de faire notre état des lieux. Ce travail nous permettra sans doute de révéler ce qui est caché et de mettre à nu ce qui semblait pourtant évident.
Raphaël nous rappelle que la découverte de néant n’est une catastrophe que pour celui qui y résiste. En l’acceptant, on peut tenter de découvrir ce qui est profondément en soi et rencontrer l’autre, celui qui nous fait fasse dans le miroir et qui peut féconder cet abîme.
Cet autre dont le consentement est central, tout comme cette relation qui est au milieu du film, au milieu d’un champ et qui n’est peut-être finalement qu’un rapport sexuel.
Les images restent, comme les questions.
Séances à 20h20 et 22h00 au MK2 Beaubourg
Séances à 20h30 et 22h10 au Reflet Médicis
Séances régulières en première semaine au cinéma l’Eldorado à Dijon, au cinéma Arvor à Rennes
Séances spéciales au Ciné 104 à Pantin le 19 janvier, au Star de Strasbourg le 26 janvier et au Dietrich à Poitiers le 28 janvier.
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