Les Dispositifs de Pacome Thiellement et de Thomas Bertay : La montagne ça vous gagne

Allongé dans votre lit, le son sourd qui fait trembler vos murs n’est pas l’annonce de la black smoke vengeresse mais bien le râle de la ligne 7 qui déboule 6 étages plus bas. La montagne jadis sacrée n’est plus qu’un parc d’attraction pour urbain au bonnet stùssy et au forfait ski, résidence, montées mécaniques du samedi au samedi. Les petites reines sont désormais réservées à la caravane du Tour de France. Le constat est sans appel : même avec 2 Lexomil dans la tête, on a arrêté depuis longtemps de se raconter des histoires. On ne sait même plus les écrire, incapable d’imaginer qu’un jour, on puisse les transmettre et les partager. Sourds à la grande note et aveugles aux symboles nous errons, en toupie sur nous-mêmes. Galère de marcher les yeux bandés.

Alors que le soleil brulait les peaux en terrasse, l’on a éclairci notre regard en assistant à la décapitation du Pape, samedi dernier à 18h00, lors du Festival « Filmer la Musique » à la Gaité Lyrique. La séance programmant les films de Pacôme Thiellement et de Thomas Bertay, nous a permis de découvrir 4 dispositifs perchés renouant avec le Récit qui vous coupe le souffle et qui demande de prendre l’air. Celui qui fait le lien entre la photosynthèse et la respiration. Sans passer par la case Terrasse à l’heure de l’happy Hour, on s’est retourné la tête devant ces films de conditionnement avant que la Terre ne fasse de même le 21/12/2012 à 12:12.

HIStory: Past, Present and Future – Book I

Comment définir ce Grand Récit, cette machine dans ma tête, machine sourde et tempête :

  • Mettons de côté True Blood, Bones ou Dr House. La longévité d’une série n’a jamais fait sa grandeur. Et il faudra vous y résoudre, personne ne vous rendra les 6 ans de soirées solitaires avachies devant votre écran comme un zombie à ingurgiter des Pizza Fraich’ Up Poulet BBQ.
  • Ignorons la folle litanie des événements, scoops et autres scandales qui cannibalisent notre attention en quadruple play,
  • Zappons la communion avec une fausse authenticité que procure l’acquisition d’une paire de pompes cousue goodyear à 400 €,
  • Écartons enfin le rêve de gloire, d’argent et de succès qu’une grille de Loto ou une promotion nous promet accessible.

Une fois défini par la négative, on comprend que le Grand Récit est ce récit ascensionnel qui nous transcende et qui nous dépasse. Cette grande histoire qui nous coupe le souffle et dans laquelle on semble tous être inscrit. Un portait géant de Michael Jackson qui orne notre chambre d’ado, fait de millier de portaits agissant comme autant de pixels. La grande tapisserie en crochet dans le salon de notre grand-mère sur laquelle nous avons tous notre place.

Mais arrive ce jour inévitable et implacable où on arrête de croire dans cette grande histoire, ce projet fusionnel adolescent, cette incandescence quasi-juvénile. On ignore les « t’as changé frère » car on est passé de l’autre côté du miroir. V2 sur mes souvenirs. On décroche le poster et on arrête d’aller chez grand-mère. Pas le temps pour les regrets et encore moins pour continuer à y croire. C’est d’autant plus facile que d’autres nous imposent leurs histoires, leur narration, leurs images et leurs désirs. Et c’est ainsi qu’on laisse une voix off inconnue prendre le contrôle de nos moments de solitude sans se souvenir de la date à laquelle on a abdiqué. On devait peut-être avoir 15 ans, c’était lors de notre communion de confirmation, ou à 16 après cette première fois pathétique, ou passé 22 ans quand on a compris que l’Undertaker n’était qu’un acrobate bodybuildé surmaquillé.

La fin de la carte 12-25 ouvre alors la porte aux premières désillusions. Plus besoin de Grand Récit. Au prix du m² ça prend de la place et la poussière et le dessus de l’armoire est déjà blindé par le four et de toute façon y a des fringues sous le lit. On se contente alors de petites histoires, de déclinaisons storytellées pour consommateurs crédules flattant nos pulsions et nos passions. Le progrès a eu raison de nos crédulités et on n’a plus l’âge pour se faire avoir par les ombres et les pétards, les symboles et les bruissements. A l’aise dans notre salon HD, la magie blanche nous abreuve désormais de catastrophe surnaturelle, d’explosion à l’accent exotique et de cataclysme planétaire. Jack Bauer veille sur nos fantasmes. Le progrès est en marche, un cellphone à la main, il avance sans un regard pour les ruines des temples bâtis à la gloire de puissances oubliées. Ceux qui ont les plans nous promettent qu’on ne refera plus les mêmes erreurs et que désormais le problème sera pris dans le bon sens : flottera, au kilomètre zéro des cités nouvelles, le pavillon de Truffaut. (La jardinerie, pas le réal).

D’une bande magnétique, Un soupir lui échappe.

C’est à partir de là que les centres sont devenus commerciaux, que les week-end furent remplis de ZAC et de Marque Avenue. Le Tomtom sur le pare-brise, la route est tracée mais l’heure est faussée. La bande magnétique ne grince plus au rythme des Forward et Rewind. La Timeline est fonce-dée. Avant, Après, Maintenant. Acteur, lecteur, producteur et spectateur de cette époque qui est la notre, pris de vertige face à ce spectacle de nos actes et de leurs conséquences sur écran géant. Pacôme et Thomas nous font vivre un retour vers le futur sans Doloreane et comme Marty nous comprenons que nous sommes les causes de nos souffrances et que donc nous créons les conditions de nos malheurs.

Comme Marty on croisera sur la timeline détraquée, nos parents défoncés au LCD, se la jouant cool et baba, ivres de pouvoir, tout en étant effrayés par leurs progénitures. On chillerra avec Zappa et ses freaks, ses fêlées heureux de laisser passer la lumière. On partira à la recherche des petites reines disparues, et on baddera après avoir succombé aux sirènes des trip contre-révolutionnaires. On participera enfin au sacre du monde des hommes sans roi, soumis aux lois et aux règles dictées par les Company men de la contre initiation. Ligne C du RER, Arrêt Pontoise et ses pyramides inversées.

Les Films dont vous êtes le Héros

Le Manala est donc plus qu’enthousiaste pour ce cinéma qui ouvre les portes sans les refermer et qui nous laisse les songes, les méditations et les réflexions. Pas besoin de lunettes ou d’artifices, ce cinéma nous parle directement, car nous avons une part du symbole et il nous revient de les partager avec la matière à l’écran. A l’instar du héros de They live (Invasion LA), nous devons prendre du recul et porter un filtre pour découvrir cette réalité que l’on nous cache et qui est pourtant en nous. Une clef que nous partagerons, qui ouvrira une porte puis une autre, pour tutoyer un éveil partagé. Un + Un = Trois. Quand l’unité et le deux se nourrissent et se transcendent dans une synthèse qui appartient à chacun. Se révèlent alors en nous des failles, des craquelures, des questions dans ce mash-up audacieux et classieux avec des vrais morceaux de Debord, de Jodoroswsky à l’intérieur. Pacôme Thiellement et Thomas Bertay plus forts que Danger Mouse, puisque se jouant des formes mais également des formats : séries, films, dispositifs, livres, il renouent avec un media à la puissance inexploitée. Cette boite noire, la télé qui a abdiquée toute possibilité d’émancipation, loin des pseudo controverses stériles « événementialisées », pourtant plus radiophoniques que télévisuelles. Les électrons sont en liberté dans cette boite noire que l’on rêve de faire exploser à coup de Tomahawk.

A: Monsieur, si je puis me permettre, pourquoi une boîte ?

B: Votre maison est une boîte. Votre voiture est une boîte avec des roues. Vous partez travailler et rentrez chez vous dans une boîte. Une fois à la maison, vous regardez fixement une boîte. Cette activité vous ronge l’âme, tandis que la boîte qu’est votre corps se ratatine inexorablement et meurt pour finir dans une dernière boîte où, lentement, il se décompose.

A: Vu sous cet angle, c’est très déprimant.

B: Ne le voyez pas sous cet angle.

J’ai reçu l’amour en Héritage

En sortant de la grande boîte obscure, on a qu’une envie, c’est de partager une bière pour évoquer les questions que l’on avait oubliées depuis longtemps de se poser. Qu’est-ce qu’on va léguer ? Pourquoi notre génération cherche-t-elle un droit de propriété sur un bien acquis par ses aïeux ? C’est quoi le droit d’inventaire ? Est-ce un hasard si Tron Legacy voit s’affronter Kevin Flynn, prisonnier de son architecture, à son propre fils, Flynn Jr ? Qui est le saint esprit alors ? La matrix ? Est-ce que nous finirons tous la tête pourrie comme des poissons ? Peut-on vraiment restaurer une mémoire disque ? Tous les deux, on vaut mieux que ça hein ? Est-ce que nos enfants seront élevés par Pascal un grand frère télévisé ? Et Ulysse dans tout ça ? Pourquoi nos petites reines portent désormais un gloss rose fuchsia qui jure avec la couleur carotène de leurs joues ? Pourquoi les bohémiennes bossent désormais sur des plateformes à appels surtaxés ? Une roulotte n’est-ce pas le plus beaux des pays ? Sommes-nous résignés à n’être que cette génération musicale biberonnée au spectaculaire, dodelinant au son du Général MJ, époque blling bling Kadhafi style ?

Et si toutes ces questions ne devaient soulever qu’une affirmation, ce serait celle-ci : Ils nous revient d’écrire notre grand récit, de délaisser les écrans, les chatroom et les fils RSS. On est prêt à partir à l’assaut de la montagne, à la gravir, sans passer par le Vieux Campeur. Il nous appartient de penser l’hier, l’aujourd’hui et le demain même si ça doit nous niquer les lombaires car c’est pas aisé sans se faire un torticolis.

We are the world isn’ it ?

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